Comment le rôle de Scrum Master peut s’accommoder au télétravail

Alexandre Beauchet
6 min readJan 26, 2021

Mercredi dernier, Fleur Saillofest, Coach Agile chez beNext, a eu l’excellente idée de réunir 3 Scrum Masters pour un meetup qui prit la forme d’une Table ronde sur le Scrum Mastering à distance. François Auger, Scrum Master chez Oui.sncf, Emeline Boulet, Scrum Master chez beNext (actuellement en mission chez Mappy), et Marion Letellier, Coach Agile / Scrum Master chez Thales Digital Factory, ont eu l’opportunité d’échanger et de partager leurs retours d’expérience ainsi que leurs nombreuses astuces. Preuve de l’importance de l’enjeu du thème choisi, près de 70 personnes ont assisté, à distance, à cette discussion.

En quoi consiste le rôle de Scrum Master

Au-delà de la mise en pratique du framework et de la facilitation des différents événements, le Scrum Master doit s’assurer de la fluidité de la circulation de l’information au sein de l’équipe, mais aussi du bien-être et de l’implication de chacun de ses membres. “Il met de l’huile dans les rouages” résume François, sans oublier qu’il doit également veiller à ce que l’équipe reste focalisée sur la livraison de fonctionnalités qui apportent vraiment de la valeur aux utilisateurs.

Un rôle initialement basé sur la colocalisation de l’équipe Scrum

Cérémonie de Daily Standup Meeting dans une équipe Scrum.

Fortement encouragée avant l’impact du virus, la colocalisation avait pour objectif de favoriser la communication entre les membres de l’équipe Scrum et de garantir la bonne tenue des cérémonies, que ce soit, par exemple, en face du radiateur d’information pour le daily standup meeting, ou à l’aide d’un tableau blanc ou d’un mur de post-it pour le backlog grooming et les rétrospectives.

En effet, pour réussir sa mission, le Scrum Master doit, chaque jour, évaluer avec finesse la dynamique du groupe, identifier les éventuelles tensions ou points de blocage, et décoder les éléments de communication non verbale de ses collaborateurs. “J’ai eu l’impression d’être devenue aveugle du jour au lendemain” s’est inquiétée Marion lorsque le premier confinement contraignit brutalement tout le pays au télétravail.

Créer du lien malgré la distance

Dans un tel contexte, les priorités du Scrum Master se sont naturellement réorientées vers le maintien (ou la création) du lien social et de la cohésion d’équipe. Plusieurs initiatives très intéressantes, testées et appliquées avec succès, ont été partagées par les intervenants :

  • Interagir régulièrement “en face à face” de façon informelle, par exemple, dans le cadre d’un café virtuel ;
  • Laisser davantage d’espace aux discussions informelles. Quelques minutes au début ou à la fin de certaines sessions de collaboration peuvent suffire ;
  • Consacrer des créneaux réguliers au jeu. Par exemple, vous pouvez réserver 45 minutes, toutes les semaines ou toutes les deux semaines, pour jouer en ligne avec votre équipe. A ce titre, deux plateformes très utiles ont été mentionnées : boardgamearena.com et https://codenames.game.

Exploiter la puissance de la collaboration visuelle

Une fois la question du lien social résolue, se pose celle, très concrète, des outils de communication et de collaboration. Ainsi, même si l’email peut conserver une certaine utilité, Teams et Slack (pour citer les plus connus) ont pris une place prépondérante dans le fonctionnement des équipes. Cependant, ces outils, à eux-seuls, ne suffisent pas à répliquer un environnement de travail optimal et pleinement satisfaisant.

C’est la raison pour laquelle une autre famille d’outils est elle aussi devenue quasi incontournable : celle des solutions de boards collaboratifs. Draft.io et Miro, et Klaxoon pour l’animation (sondage, quizz, etc.), s’adjoignent tout naturellement aux outils de communication pour rendre la collaboration à distance à la fois visuelle et interactive.

François Auger, Scrum Master chez Oui.sncf, montre un Example Mapping construit sur Draft.io.

Que ce soit pour soutenir une réunion de cadrage, animer des cérémonies de rétrospective, représenter des parcours utilisateur, ou construire des roadmaps produit, la polyvalence et la puissance de ces outils impressionnent. Libérées des contraintes inhérentes au monde physique, les équipes peuvent même aller encore plus loin en matière de management visuel, et représenter le monde tel qu’elles l’entendent.

Equilibrer les phases de collaborations synchrone et asynchrone

L’utilisation en continu des outils de communication a révélé un risque majeur : les membres de l’équipe, et en premier lieu desquels les développeurs, se sentent obligés de répondre quasi instantanément aux nombreuses sollicitations qu’ils reçoivent. Quand on sait à quel point il est difficile pour notre cerveau de basculer d’une tâche à une autre, il devient évident que les effets pervers de la communication instantanée peuvent grandement nuire à la concentration nécessaire à la réflexion et à la résolution de problèmes complexes.

Par conséquent, pour qu’elle soit un succès, la collaboration à distance nécessite la mise en place de règles strictes d’utilisation des outils ainsi qu’une certaine rigueur dans leur application par l’équipe. Par exemple, l’email doit être utilisé dans tel cadre, tel channel Teams dans tel autre cadre, WhatsApp en cas d’urgence, etc. Par ailleurs, réserver plusieurs demi-journées par semaine au travail individuel de type “deep work” est communément considéré comme une bonne pratique.

Les quatre phases de la collaboration selon Douglas Engelbart.

En outre, l’année 2020 a vu émerger le phénomène de fatigue communicationnelle ; il est bien plus difficile de rester concentré autant de temps en visioconférence qu’en présentiel. Les sources de distraction sont nombreuses : mobile, réseaux sociaux, web, enfants, animaux de compagnie, etc. tant et si bien qu’organiser des ateliers d’une demi-journée, voire d’une journée, est quasiment devenu intenable pour les participants. C’est pourquoi il est plutôt recommandé d’éclater ces ateliers en plusieurs sessions de travail d’une heure ou d’une heure et demie, et de profiter du temps qui sépare chacune d’entre elles pour collaborer de façon asynchrone.

Les avantages inattendus de la collaboration à distance

Même si les outils, quelles que soient leurs qualités, ne remplaceront jamais les dynamiques de collaboration en présentiel, la distance a révélé quelques atouts qui n’avaient pas vraiment été anticipés. Par exemple, les membres de l’équipe les plus réservés sont plus à l’aise pour partager leur opinion. En effet, il est plus simple et moins impressionnant d’écrire et partager un post-it sur son ordinateur que de se lever et le placer devant un groupe. Par ailleurs, les participants sont obligés de s’écouter parler les uns les autres ; il ne peut y avoir de discussion parallèle.

Vers un modèle de travail hybride considéré optimal

Pour ce qui est des habitudes de travail, tous conviennent que nous ne reviendrons pas en arrière : le télétravail est ici pour rester. Cependant, il ne pourrait se concentrer que sur 2 à 4 jours de la semaine. L’idée est de réserver au moins une journée entière pour que les équipes puissent se rencontrer physiquement et passer du temps ensemble. Bien sûr, il faut que toute l’équipe se rende au bureau en même temps, autrement cette mesure perdrait tout son intérêt.

Qui plus est, il ne faut pas s’attendre à ce que les journées passées au bureau soient aussi productives que celles passées à la maison. Elles doivent être dédiées à l’échange, qu’il soit professionnel ou informel, et aux méthodes de collaboration et de résolution de problèmes qui peuvent nécessiter une approche kinesthésique et spontanée.

Dans une telle configuration, quid du management visuel ?

Dans un modèle hybride, il deviendrait fastidieux et redondant de maintenir une version physique du board de management visuel. Celui-ci serait bien moins souvent mis à jour que son pendant virtuel. L’équipe le délaisserait rapidement. La solution pourrait peut-être venir des grands écrans tactiles. Ils permettraient d’afficher et de manipuler les outils de suivi en présentiel tout en profitant du numérique à distance.

Atelier de Story Mapping sur un grand écran tactile.

Quel avenir pour le rôle de Scrum Master ?

Alors que beaucoup, avant la pandémie, pensaient qu’il était impossible d’exercer correctement ce rôle à distance, il s’avère que le Scrum Master, en tant que garant de la bonne circulation de l’information et du bon fonctionnement de l’équipe, est devenu encore un peu plus important. A la vue des nombreuses facettes de sa mission, on conçoit difficilement comment des équipes de développement qui travaillent à distance, et aspirent à la réussite de leurs projets Agiles, pourraient s’en passer.

--

--